“ Qui excelle à composer des vers et des mélodies, à écrire des chansons d’amour, des ballades, des aubes, des sirventès peut revendiquer le nom de trobador. Et il a le droit à tout autre considération que le jongleur dont il assure l’existence par ses chansons”
Dans sa célèbre supplique au roi de Castille, le troubadour Guiranut Riquier distingue les trobador - inventeur de poèmes - des jongleurs, qui sont les porteurs de la voix poétique. A la fois poète et musicien, le troubadour est celui qui sait trobar, autrement dit poétiser et composer. Le troubadour chante pour le bels entendens - sortes de beaux esprits initiés.
De la fin du XIème siècle au début du XIIIème siècle, fleurit, à partir de Poitiers, une poésie lyrique de langue d’oc qui s’étendra vers le Limousin, l’Aquitaine, le Languedoc et la Provence, avant d’inspirer les trouvères d’oïl dans le nord de la France. L’art du troubadour, de l’Occitan trobar : trouver, poétiser, est un art de cour (courtois) destiné à la société aristocratique - le bels entendens -, ce qui lui donne un caractère souvent conventionnel. Le thème central de cette lyrique est un amour idéalisé qui fut à la base d’une conscience nouvelle de respect de la femme et de tolérance. Née à la cour de Poitiers et “inventée” par un personnage aussi important que Guillaume IX, duc d’Aquitaine, cette poésie chantée ne pouvait que rapidement accéder au rang de distractions les plus raffinées.
Et si le troubadour est parfois de modeste lignage, son talent lui permet de s’élever au rang des plus grands. Le tête-à-tête poétique et amical qu’il instaure fréquemment avec le seigneur ne manque pas d'étonner.
Les troubadours qui en faisaient leur métier devaient compter sur la générosité de protecteurs pour vivre de leur talent. D'ailleurs, des troubadours d’humble naissance firent une carrière qu’auraient pu envier bien des nobles.
Bohème aux multiples talents, le jongleur jouait à la fois le rôle de bateleur, de bouffon et de musicien-conteur. Il se mêlait aussi volontiers au badauds de foires qu’il s’invitait au château, tandis que le ménestrel était “attaché”, comme instrumentiste à poste fixe, à la cour d’un seigneur, d’un prince ou du roi.
Le jongleur (du latin joculator : amuseur) désignait à l’origine autant le poète-musicien chantant “de geste” ou débitant des fabliaux que les mimes saltimbanques, montreurs d’animaux savant, danseurs de corde et autre “vendeurs de vent”. Comme, sur les places où ils chantaient, le vent et la bise étaient plus souvent au rendez-vous que les bonnes recettes, les jongleurs eurent tôt le désir d'acquérir des protecteurs fortunés pour gagner deniers et livres tournois. Le jongleur avait la réputation de préférer la taverne au sermon et d’être un lecheor, à la fois glouton, parasite et débauché. Les gens d'Église proscrivent ces “suppôts du diable” et les excluent de la communion, fulminant contre leur frivolité et l’immoralité de leurs danses. Les femmes se mêlaient de jonglerie ; en 1241, des jongleresses sarrasines firent sensation à la cour de l’empereur Frédéric II d’Allemagne en dansant sur des sphères tout en frappant sur des cymbales. Les occasions de se distraire étaient rares, et les jeux des jongleurs égayaient les longues soirées au château.
Un jongleur était d’autant mieux accueilli par les seigneurs de haute naissance qu’il réunissait au talent de musique celui de connaître les romans et fabliaux plutôt que de simples tours de gobelets et de passe-passe. Le troubadour Guiraut de Cabrera exige beaucoup de son jongleur : il énumère la longue liste des poèmes épiques, romans, fabliaux et sons d’amour qu’il doit débiter tout en sachant jouer de la vièle. Ce musicien-chanteur et conteur devient alors le “porteur de la voix poétique”, pour reprendre la belle expression du médiéviste Paul Zumthor. De grands trouvères sont aussi jongleur, comme Colin Muset ou Rutebeuf. Tout jongleur qui composait devenait trouveur, et tout trouveur qui déclamait sa poésie était jongleur.
“Sire compte, j’ai viélé devant vous, en votre ostel et ne m’avez rien donné, ni mes gages acquittés ; m’aumonnière est mal garnie, et ma bourse mal farcie ! “ Cette requête du célèbre Colin Muset illustre bien la condition de ces musiciens errants, vivant des ressources que leur procurent les seigneurs. Des fêtes, mariages, cours plénières, adoubements, étaient les belles occasions de la vie du jongleur.
Parmi les suivants des princes, les bouffons tenaient le rôle de perpétuels amuseurs. La bouffonnerie était sœur de la jonglerie ; les jongleurs faisaient parfois des folies, et les fous faisaient des vers. Un fou d’office “bien appris” gambadait comme un singe, sonnait du chalumeau et devait connaître de joyeuses réparties et quelques bons refrains. Plantefolie, “fol” bien nommé du duc de Berry, excellait à la cornemuse, instrument gonflé de vent comme le crâne écervelé du bouffon. Métaphore d’une tête folle, la vessie de porc remplie d’air où résonnait une poignée de pois sec était l’emblème du bouffon de carnaval.
En devenant un personnage de cour, le fou ne pouvait manquer d’avoir sa livrée. Les signes distinctifs du personnage sont le chaperon à longues oreilles et la marotte, sceptre inversé et garni d’une tête grotesque avec laquelle il engage des dialogues. Des clochettes sonnantes a son habit et des grelots cousus à son bonnet complètent la vêture tintinnabulante du fou de cour. Comme le jongleur ou la prostituée, le fou porte l’idée de désordre ; il signale sa condition par sa livrée rayée ou mi-partie et par les couleurs de la bouffonnerie que sont généralement le vert et le jaune. Princes et rois eurent leurs porteurs de marottes, car rire du bouffon était une pratique rituelle de la cour. Il appartenait à ces “fols en titre d’office” de dire la vérité à leur maîtres et de leur dérider leur front soucieux.
Assez tôt, certains jongleurs obtiennent une position plus stable et sont invités à remplir un emploi fixe chez les princes et les grands seigneurs. Appelés ménestrels (du latin ministerium : titulaire d’un office) ou ménestriers, ces serviteurs sont rattachés à une Cour et chargés des divertissements musicaux. On compte alors des ménestrels de bouche - chanteurs et raconteurs de dits -, des ménestrels de trompette, de harpe, d’orgue …, en fonction de leur spécialité. Élevé au rang de petit officiers, un ménestrel ne saurait figurer parmi les ribauds. Les femmes ménestrelles avaient mauvaise réputation même si leur activité musicale était bien entrée dans les mœurs. Les ménestrels avaient de multiples occasions de se faire entendre. Un prince ne se déplaçait jamais sans ses trompettes pour faire valoir sa majesté. Les musiciens participent aux festins, chaque service de mets étant sonné sur des instruments. Avant de se mettre à table, on “cornait l’eau” pour se laver les mains. Lors du fameux banquet du Faisan donné à Lille en 1454 en présence de Philippe le Bon, duc de Bourgogne, “vingt-huit musiciens dissimulés dans un pâté géant jouaient de l’orgue, de la flûte, de la harpe, du cor, de la cornemuse, de la vielle, de la trompette, du luth et du tambourin”.
Il faut ranger parmi les ménestrels les hérauts et poursuivant d’armes chargé de sonner dans de longues trompes ornées de gonfanons blasonnés pour annoncer les tournois. Véritable maîtres de cérémonie, les hérauts devaient connaître le langage des blasons pour arbitrer entre les chevaliers ainsi qu’un répertoire de chansons pour faire “caroler” dames et chevaliers. Les gens de guerre emmenaient des joueurs d’âpres trompettes au combat. Du Guesclin était précédé d’une trompette qui soufflait si vaillamment que “les sourds même le pouvoient entendre”. Comme les princes, les villes entretenaient des musiciens habiles et bien équipés.
Les ménestrels arboraient une livrée aux couleurs et enseignes de leur seigneur. Les robes brodées offertes aux ménestrels de Philippe le Hardi étaient fort onéreuses. Mais les musiciens itinérants revêtaient souvent des tuniques bariolées (vert,jaune,rouge), mi-parties ou à rayures horizontales ou verticale qui marquaient leur condition serville et marginale. Les ménestrels étaient rétribués par un salaire en espèce, et certains prospéraient.
“Depuis toujours nous sommes amoureux de la musique et du moyen-âge, nous associons nos deux passions afin de les vivre et de les faire vivre. À travers des mélodies centenaires interprétées de façon bien singulière, nous apportons liesse dans les villages et les cœurs !”